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La matinĂ©e Ă©tait dĂ©jĂ bien avancĂ©e, bien que l'heure lui fut inconnue, Fabri arriva devant la porte de la sorciĂšre Il y avait probablement plein de sorciĂšres au Domaine, car comme il avait pu s'en apercevoir, les personnes exhibant une certaine facilitĂ© pour la magie Ă©taient lĂ©gion. Cependant, mĂȘme s'il pouvait nommer une bonne demi-douzaine de ses connaissances qui savaient au moins lancer un sort de feu sans prendre trois heures, il ne connaissait pas de mage professionnel. Pas personnellement, du moins. En descendant le long des rues, toujours plus bas dans les faubourgs du Domaine, il s'Ă©tait d'ailleurs posĂ© pas mal de questions ; dans quelles circonstances on disait mage, ou sorcier, ou magicienne, ou encore ensorceleur ? Il y avait aussi les alchimistes, mais ils ne comptaient pas vraiment, non ? Sans hĂ©siter, s'approcha de la porte qui, comme la maison n'Ă©tait pas des plus droites ni ne semblait des plus solides. Le quartier entier semblait ancien, les maisons faites de pierre Ă©taient collĂ©es les une aux autres, certaines composĂ©es d'un Ă©tage, d'autres n'Ă©tant que de petites masures accolĂ©es Ă la muraille extĂ©rieure. D'autres, vers l'intĂ©rieur, Ă©taient hautes de deux ou parfois trois Ă©tages. Cependant, plus il avait progressĂ© vers le bout des rues, le soldat avait pu remarquer que l'espace entre les bĂątisses se faisait plus important ; laissant la place Ă des arbres, des espaces envahis d'herbes. Tout Ă©tait ancien, du lierre sur les murs aux alcĂŽves oĂč nichaient les derniers oiseaux qui ne s'Ă©taient pas tirĂ©s avant l'arrivĂ©e de l'automne. Il toqua rapidement Ă la porte et attendit. Ayant demandĂ© son chemin une fois de trop que nĂ©cessaire, il Ă©tait sĂ»r que c'Ă©tait le bon endroit. Ceci dit, cette maison ressemblait Ă n'importe quelle maison, pas Ă un logis de sorciĂšre. Mais les sorciĂšres n'Ă©taient-elles pas humaines ? Durant les quelques longs instants durant lesquels il attendit une rĂ©ponse, guettant le moindre son venant de l'intĂ©rieur, Fabrizio se demanda si, en rĂ©alitĂ©, il y avait une quelconque diffĂ©rence entre les humains douĂ©s de magie et le reste. Il se rappelait distinctement son pĂšre le mettre en garde contre ceux qui pratiquaient la magie. Un autre temps, un autre monde, s'efforçait-il de penser. Mais il devait y avoir du vrai dans cela, quand mĂȘme ? Ce n'Ă©tait peut-ĂȘtre pas la meilleure idĂ©e de l'envoyer, lui, dĂ©marcher une sorciĂšre alors que toute sa famille avait collĂ© des sorciĂšres au bĂ»cher sur trois gĂ©nĂ©rations ! Ou quatre, peut-ĂȘtre, il n'avait jamais vraiment chercher Ă demander ce que son arriĂšre grand-pĂšre faisait dans sa vie. Si vous ĂȘtes lĂ pour mon toit, je vous attendais en mai. Mais bon puisque vous ĂȘtes lĂ je ne vais pas vraiment faire la fine bouche. »La voix venait de derriĂšre lui. Fabri se retourna, surpris. Une vieille femme se tenait devant la porte. Plus grande qu'une petite vieille dame comme celles qui allaient au marchĂ© tous les jours, mais tout de mĂȘme plus petite et rabougrie qu'une femme dans la force de l'Ăąge. Elle fixait son interlocuteur d'un air sĂ©vĂšre. Pardon ? Votre toit ? » Combien de temps est-ce que tu es restĂ© plantĂ© lĂ ? LĂšve donc les yeux, regarde dans quel Ă©tat il se trouve ! »Ah. Bien, elle le prenait pour un rĂ©parateur de toits. Est-ce qu'il y avait un nom pour ce corps de mĂ©tier ? Vous devez faire erreur, en rĂ©alitĂ©, je viens vous voir de la part du Sanctum. »Il avait retenu une chose de ses aventures Ă Mornevie. C'Ă©tait de faire de phrases claires et concises afin de contenir la volontĂ© exĂ©crable qu'avaient les vieux de vouloir l'interrompre. Cela semblait avoir marchĂ©. La vieille dame le regarda en hochant la tĂȘte, d'un air entendu. Il y a bien neuf mois que j'attendais que le Sanctum se charge de mon toit, comme prĂ©vu ! »Merde. Elle ne l'avait pas interrompu, mais c'Ă©tait tout comme. Elle le regardait de maniĂšre insistante, aussi se dĂ©cala-t-il pour lui laisser le passage libre afin qu'elle puisse rentrer chez elle. Je regrette, je ne suis pas venu pour rĂ©parer votre toit. Vous ĂȘtes bien Esmerine Mons ? »Elle entra chez elle, sans se retourner vers lui. Posant son panier dans l'entrĂ©e, elle retira le chĂąle qu'elle portait ; un long chĂąle aux couleurs sombres. Elle ne portait qu'une longue robe noire, un tablier de mĂȘme couleur. Ses cheveux Ă©taient blancs ; dans un contraste certain avec le reste de sa personne. Ce serait bien la premiĂšre fois que quelqu'un toque Ă ma porte en ne sachant pas qui je suis ! Enfin, bon. Vous enverrez un petit rappel par chez vous, pour mon toit. Il va commencer Ă faire froid assez rapidement. » DĂ©solĂ©, je voulais pas paraĂźtre impoli- » rĂ©pondit-il en faisant un pas vers l'entrĂ©e. La porte claqua Ă deux centimĂštres de son visage et l'interrompit sobrement dans sa phrase. Non mais c'est pas vrai, se dit-il. Il resta plantĂ© lĂ pendant quelques secondes. Son Ă©tat d'esprit se rĂ©sumant Ă une indignation profonde, un peu de honte mais surtout de l'Ă©nervement. Il Ă©tait cependant rassurĂ© car il ne s'Ă©tait pas trompĂ© de porte. Que faire ? Rendu devant l'Ă©vidence que l'ordre qu'il avait reçu ne serait pas si simple Ă appliquer, il devait trouver une solution. Fabrizio toqua de nouveau Ă la porte. Inutile de dire qu'il n'avait pas d'autre solution. Inutile de dire qu'il n'avait pas non plus cherchĂ© d'autre solution. Surtout parce qu'il n'en voyait pas vraiment de valable. Et il ne voulait pas en rester lĂ . Tout simplement. AprĂšs une minute d'attente -bien moins qu'il ne l'attendait, la sorciĂšre rouvrit la porte. Vous dĂ©sirez ? » La mĂȘme chose que tout Ă l'heure, madame. Le Sanctum souhaiterait vous compter parmi ses membres. » Ce n'Ă©tait pas comme si on lui avait donnĂ© des consignes claires autre que recruter » cette bonne femme. Il avait eu le temps de trouver les mots adĂ©quats afin de ne pas la faire fuir. Mais Ă part deux ou trois expressions toutes faites et de la politesse de hangar, il avait tout Ă©puisĂ©. Qu'est-ce que le Sanctum pourrait bien faire d'une vieille dame, je me demande ! Quel genre de travail est-ce que vous me donneriez ? Je porte trĂšs mal l'armure ça je peux vous l'assurer ! »Elle avait raison, dans un sens. Fabrizio espĂ©rait que March n'avait pas dans l'idĂ©e de la foutre sur les remparts. Vous ĂȘtes une magicienne reconnue. Votre savoir pourrait profiter bien d'autres pers- » J'ai dĂ©jĂ des apprentis - un apprenti ! » rĂ©torqua-t-elle sĂšchement en retournant Ă l'intĂ©rieur de chez elle comme une tortue retournait dans sa carapace. Sauf que cette fois, Fabri ne se laissa pas avoir. Si elle voulait jouer Ă 'qui a le plus de culot' et bien il savait y jouer aussi. Alors qu'elle poussait la porte, la claquant sĂšchement sans pour autant fermer le verrou, il la rouvrit ; sans pour autant entrer, il la laissa ainsi, entrebĂąillĂ©e. Laissez-moi au moins vous convaincre ! » Me convaincre avec quoi ? Avec cet air de gobie sorti de l'eau, tu ne convaincrais pas ta mĂšre de te donner Ă manger ! » rĂ©pliqua la sorciĂšre. Elle n'avait pas attendu qu'il entre pour rouvrir grand la porte. Se tenait en face de lui, de toute sa hauteur, poings sur les hanches. Tu veux une sorciĂšre pour ton Ă©glise ? Et bien ouvre un bouquin, apprends la magie, le nom des choses, des pierres des arbres et des vents, apprends Ă lire les runes, comprendre les signes des ombres ! Deviens un sorcier ! »Surpris, Fabrizio resta silencieux quelques secondes. Il la fixa alors qu'elle s'en retournait vers le fond de la piĂšce. Dans un clair-obscur aussi vaseux que la couleur douteuse des fenĂȘtres, il dĂ©tailla avec difficultĂ© un Ăątre, des ustensiles de cuisine ; des casseroles posĂ©es par terre. Des traces d'humiditĂ© Ă©taient visibles le long de la charpente. Merde, c'Ă©tait donc aussi sĂ©rieux que ça, son problĂšme de toiture. Il n'imaginait pas l'Ă©tat de l'Ă©tage. Il ne savait pas quoi rĂ©pondre. Et ce n'Ă©tait vraiment pas le moment de montrer de l'hĂ©sitation. Je lance des sorts aussi bien que vous porteriez une armure, sans chercher Ă vous offenser, hein. » Excellente nouvelle. Je pense que je ne t'aurais pas pris comme apprenti de toutes maniĂšres. »Cette vieille dame n'avait tout bonnement aucun respect, ça, Fabri le sentait bien. Tu comptes rester jusqu'Ă la fonte des neiges sur le seuil ? Tu n'as pas idĂ©e de ce qui peut profiter d'une porte ouverte pour s'insinuer dans une maison, gamin. Tu entres ou tu sors, mais tu fermes cette porte. »Fabrizio regarda la vieille, puis la porte, et puis la vieille de nouveau. Pas l'ombre d'un sourire, ni mĂȘme d'une chute de blague quelconque. Elle semblait sĂ©rieuse. Aussi s'exĂ©cuta-t-il et entra. C'Ă©tait une vieille sorciĂšre qui croyait dur comme fer Ă ses superstitions. Cependant, il avait assez de recul pour songer Ă une image plus large. Il avait ses croyances Ă lui Ă©galement. Alors qu'il passait le seuil, il entendit un lĂ©ger son Ă sa gauche ;il venait d'un petit carillon suspendu Ă une cordelette. Des pierres, orangĂ©es pour la plupart, certaines tirant sur le verre, entraient en contact avec le mĂ©tal pour produire un tintement particulier. Il ferma la porte sans chercher Ă comprendre. Les pierres ne mentent jamais. Elles connaissent tes moindres secrets. » dit Esmerine, sans mĂȘme le sur le seuil, Fabrizio ne comprit pas rĂ©ellement le sens de ses paroles, toujours Ă©tait-il qu'il ne lui fallait pas plus pour s'inquiĂ©ter. Ce qu'il pensait ĂȘtre une frayeur dĂ©passant les bornes de la logique se trouvait un fondement tangible. Il songeait Ă ces aprĂšs-midis passĂ©es dans quelque recoin du Palais de Justice, Ă tranquillement regarder les accusĂ©es passer devant le juge. Il les avait vues sans ĂȘtre lui-mĂȘme vu, et pouvait entrer et sortir du bĂątiment par des couloirs que personne n'empruntait. Il n'y avait jamais repensĂ©. Pas jusqu'Ă maintenant. Son pĂšre l'avait toujours mis en garde contre les sorciĂšres, comme de juste car lui-mĂȘme en avait chassĂ© plus d'une en son temps. Peut-ĂȘtre que les pierres lisaient ça comme lui lisait un livre. Les souvenirs de cette vie, d'une permissivitĂ© enfantine lui revenaient quelques fois. Ils reprenaient un relief certain alors qu'il se trouvait en face d'une vraie sorciĂšre. Qu'est-ce qu'elles peuvent bien vous dire ? »Silence. La vieille s'affairait. Il restait, debout au milieu de cette piĂšce qu'il ne connaissait pas. Il regardait tour Ă tous les ustensiles, les quelques fleurs sĂ©chĂ©es au dessus du manteau de la cheminĂ©e. Des piles de livres sur une large table, sur quelques Ă©tagĂšres Ă©loignĂ©es des murs de quelques centimĂštres. Ăa sonne Ă cause du vent, bougre d'idiot. Tu lis pas une pierre. Ce serait comme parler Ă une truite. »Sa surprise plut Ă la sorciĂšre, qui partit d'un franc rire. Elle s'Ă©tait retournĂ©e, avait posĂ© son chĂąle, l'avait pliĂ© sur le dossier d'une chaise. Tu n'y connaĂźt rien Ă la magie. Mais tu n'es pas d'ici, tu es comme mon apprenti, ça s'entend quand vous parlez. Vraiment, Ă©couter des cailloux ! Tu as dĂ©jĂ collĂ© ta tĂȘte sur le sol et essayĂ© d'Ă©couter des pavĂ©s ? » L'approche de la magie est... diffĂ©rente, Ă©tait diffĂ©rente. » rĂ©pondit-il, cherchant ses mots. J'ai pas de mĂ©taphore pour expliquer ça, par contre. » Tu m'en diras tant. » Esmerine Mons ponctua sa phrase d'un hochement de tĂȘte. Comment tu tâappelles ? J'aime bien savoir Ă qui je m'adresse, quand mĂȘme. Tu connaĂźt mon nom, je suis en droit de savoir le tien. » Je m'appelle Fabrizio. »La vieille dame hocha la tĂȘte. Ah ça oui effectivement ça vient pas d'ici. Alors, tu ne viens pas pour rĂ©parer mon toit, tu viens pour me proposer une embauche ! Tu sais ce que ça signifie, de proposer un contrat Ă une sorciĂšre, Fabrizio ? » Pas vraiment, ça doit peut-ĂȘtre vouloir dire vous entendre parler par Ă©nigmes les trois quarts du temps ? »La sorciĂšre le regarda. Elle pouffa de rire aprĂšs quelques secondes d'un silence malaisĂ©. C'est bien, tu t'excuses moins quand tu parles franchement. » C'Ă©tait de la politesse. » J'assimile ça Ă un balai dans le derriĂšre. »Alors qu'il se tenait comme la plus magnifique des plantes en pot au milieu de l'entrĂ©e de madame Mons, Fabrizio regardait cette derniĂšre ranger le contenu de son panier â majoritairement des lĂ©gumes de saison, dans quelques recoins de sa cuisine. J'ai dĂ©jĂ ma vie ici. Un apprenti qui utilisera la magie dĂšs que j'ai le dos tournĂ©. Il n'y a rien de pire qu'un sorcier qui utilise un sort pour allumer une foutue bougie, tu m'entends ? C'est du gaspillage de pouvoir ! Est-ce que tu utiliserais.... ton Ă©pĂ©e pour couper ton dĂ©jeuner ? C'est idiot. » C'est plus pratique, ceci dit. Le feu, pas l'Ă©pĂ©e. »Menaçante, la sorciĂšre s'approcha de lui. Tu as exactement le visage parfait pour oser me dire ce genre de choses, gamin. »Fabrizio essayait toujours de garder son calme et sa composition, mais comme Ă aucun moment il n'aurait pensĂ© qu'une vieille dame puisse ĂȘtre aussi directe. Directe, pour ne pas dire qu'elle versait franchement dans l'impolitesse. MĂȘme s'il devait reconnaĂźtre qu'elle n'avait pas tout Ă fait tort ; tout au fond de lui par contre. Avec le recul â qu'il ne cessait d'invoquer d'ailleurs, il se disait qu'il avait bien fait d'aller s'en prendre Ă un dragon pour dĂ©fendre la veuve et l'orphelin comme il l'avait fait. Il en porterait peut-ĂȘtre les sĂ©quelles Ă vie, Ă ce point il n'en savait trop rien mĂȘme si, des mois aprĂšs il supportait chaque jour, dans chaque miroir, leur triste rappel. C'Ă©tait une vieille dame, il allait pas gueuler sur une vieille dame ! De plus, ce serait complĂštement contre-productif ! Je ne voulais pas te vexer, viens, reste pas plantĂ© lĂ . LâĂ©quinoxe rend les gens mĂ©chants. Ce n'est pas un bon jour pour travailler ; j'ai envoyĂ© mon apprenti faire une petite course, aussi je me retrouve toute seule. Tu aiderais bien une vieille dame, Ă dĂ©faut de rĂ©parer son toit non ? » Ăa c'est une excuse. » Pardon ? » L'Ă©quinoxe, c'est une excuse. Et vraiment pas une excuse valable. » Pour pas dire une excuse de sorciĂšre Ă©touffa un rire, puis partit dans le coin cuisine de la piĂšce. Que de cruautĂ© pour une innocente vieille dame ! Tu me ferais pleurer, mon garçon. »Oh ça ce serait une bonne nouvelle. Je veux bien vous aider. Mais il va falloir que vous me donniez une rĂ©ponse claire. Je m'en fiche, que vous veniez ou pas. L'idĂ©al ce serait que vous veniez, quand mĂȘme. » Viens par lĂ , aide-moi Ă bouger cette Ă©tagĂšre. Il y a bien trois mois qu'elle prend l'eau. Les fuites ont des fuites dans cette maison ! »Fabri s'exĂ©cuta, suivant la vieille femme. Au final, il remarqua bien qu'Ă peine eut-il commencĂ© Ă bouger l'Ă©norme Ă©tagĂšre â probablement en chĂȘne massif, elle s'Ă©tait barrĂ©e. Il entendait le bruit distinct de tasses et d'eau. Ah, par 'l 'aider' elle entendait donc 'faire le travail Ă sa place'. Il plaignait son apprenti, Ă devoir travailler mĂȘme un jour d'Ă©quinoxe. Vous Ă©tĂ© demander aux Templiers pour votre toit ? Ce serait pas la seule demande de rĂ©paration qu'ils auraient eue. »Il se souvenait bien que ces derniers avaient Ă©tĂ©s occupĂ©s Ă divers travaux, s'il en croyait Aubrey ou encore Senrith Cette derniĂšre avait passĂ© un mois Ă dĂ©blayer les gravats du grenier d'une maison. Mais elle ne parlait pas souvent de son travail, prĂ©fĂ©rant profiter de ses journĂ©es de libre Ă , non pas se plaindre comme Aub le faisait, mais cachĂ©e dans un coin Ă jouer de la musique. En pensant Ă elle, Fabri se demanda ce qu'il aurait pu faire aujourd'hui s'il n'avait pas eu du temps livre. Non. Non, il devait reprendre le travail. Et mĂȘme si ça impliquait dĂ©placer des meubles chez une sorciĂšre acariĂątre. Hm ! Ils savent trĂšs bien que ce quartier a Ă©tĂ© rĂ©duit en ruines ! » ⊠Vous avez pas Ă©tĂ© demander, hein ? »La vieille reparut, bocal rempli de feuilles de thĂ© en main. Est-ce que j'ai l'air d'avoir envie d'aller perdre mon temps avec tes semblables !? »Il avait envie de lui rĂ©pondre que c'Ă©tait un peu ce qu'elle faisait actuellement. Mais pour le coup, il s'Ă©tait plutĂŽt imposĂ©. Donc il choisissait de garder le silence. Il se contenta d'un haussement d'Ă©paules. J'ai raison. Vous savez, ils peuvent pas vraiment savoir que votre maison en particulier a besoin d'un nouveau toit ! »Loin de l'idĂ©e de la sorciĂšre terrifiante qu'il s'Ă©tait imaginĂ©e avant de venir, Esmerine Mons se rapprochait plutĂŽt de la vieille dame acariĂątre. Comme une grand mĂšre attachĂ©e Ă son foyer. Le chat en moins, en fait. Elle n'avait pas l'air d'avoir de chat. Elle n'avait pas rĂ©pondu Ă sa derniĂšre invective, et Fabri considĂ©ra ce silence comme une victoire alors qu'il finissait de dĂ©gager l'armoire. Ici ça vous va ? » lui demanda-t-il. Tasses de thĂ© en main, elle revint. ⊠Ăa pourrait ĂȘtre pire, allez, viens on va discuter de ton offre... ArrĂȘte avec ce regard de poisson frit ! - de poisson, mort. Excuse-moi. L'Ă©quinoxe, hein. » Y'a pas de mal. »Y'avait vraiment pas de mal. En rĂ©alitĂ©, Fabri pensait qu'elle avait clairement refusĂ© sa proposition. Aussi la suivit-elle, la rejoignant Ă table, en face d'elle plus prĂ©cisĂ©ment. Boire du thĂ© avec une sorciĂšre n'Ă©tait pas vraiment l'idĂ©e qu'il se faisait d'une aprĂšs-midi plaisante mais, au final, ce n'Ă©tait pas si mal. Donc. Le Sanctum a besoin de sorciers, c'est bien ça ? »Le thĂ© Ă©tait vraiment trop chaud, mais une bonne odeur s'en dĂ©gageait. A dĂ©faut d'ĂȘtre buvable donc, il donnait Ă la piĂšce une petite ambiance qui n'Ă©tait pas dĂ©plaisante. Non, le Sanctum a besoin de vous particuliĂšrement. »La sorciĂšre haussa un sourcil, visiblement dubitative. Elle, par contre, buvait son thĂ© comme s'il se fut agi d'eau fraĂźche. Ma vie est trĂšs bien oĂč elle est, petit. Il va falloir ĂȘtre plus convainquant que ça ! » Je pense vraiment que votre savoir mĂ©rite Ă ĂȘtre partagĂ©. Vous n'avez qu'un apprenti, pourquoi pas ouvrir une Ă©cole ? Apprendre la sorcellerie Ă des gens qui montreraient des qualitĂ©s magiques ? »Fabri savait qu'elle refuserait, car Ă ce moment lĂ , elle hochait nĂ©gativement la tĂȘte avec un air des plus dĂ©sapprobateurs. Avoir un apprenti, c'est pas comme faire une potion contre l'insomnie. Il faut ĂȘtre responsable de la vie du gosse, je sais pas si tu comprends l'entiĂšretĂ© de la chose. »Il ne peut que hocher la tĂȘte en silence. D'un apprenti, il ne comprenait pas vraiment l'importance d'en avoir un. Cependant, il savait ce qu'Ă©tait la responsabilitĂ© quant Ă la mort de quelqu'un. Devait-il en parler ? Pas Ă elle, quand mĂȘme... Il n'en parlait Ă personne, ce n'Ă©tait pas le lieu. Quand un de ces petits... disparaĂźt, c'est comme si c'Ă©tait ma propre chair qui m'Ă©tait arrachĂ©e. »Elle avait dĂ©jĂ vĂ©cu au travers de bien des choses ; c'Ă©tait plus que probable qu'elle parlait en connaissance de cause. Il n'osait pas lui rĂ©pondre, de peur qu'elle n'ait qu'une remarque acerbe Ă lui servir. Mais d'un autre cĂŽtĂ©, il ne voulait pas lui rĂ©pondre pour lui servir une remarque acerbe de son cru Ă lui. Ils restĂšrent donc un moment, silencieux. Si c'est un sujet que vous voulez Ă©viter, on peut en changer. Si vous voulez, je veux dire, on n'est pas forcĂ©s. »Esmerine avait de grands yeux d'un bleu perçant. Elle les braquait sur lui, dans un air de surprise. Ses deux mains Ă©taient jointes autour de sa tasse, laquelle avait un motif de hibou peint surprise se mua en un sourire, puis en un franc rire. Mais qui est-ce qui m'a â Etro, ne m'envoie pas de poĂštes devant ma porte ! » gloussa-t-elle. Alors, fanatique oui, crĂ©tin j'en ai dĂ©jĂ eu, vous m'avez traitĂ© de poisson tout Ă l'heure mais poĂšte c'est la premiĂšre fois ! Je vois pas ce qu'il y avait de poĂ©tique lĂ dedans. » Hm ! Tu n'm'auras pas comme ça petit. Ăviter les sujets qui fĂąchent, c'est bien pour l'esprit, mais il ne faut pas les oublier. Je ne suis pas nĂ©e de la derniĂšre pluie, le Sanctum a toujours une idĂ©e derriĂšre la tĂȘte, je comprends que les soldats du roi avaient un corbeau noir Ă leur tĂȘte, ça je l'ai bien senti, mais je n'ai pas envie que ma magie serve Ă Ă©lever une armĂ©e de petite dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s zĂ©lĂ©s. » Si jamais le Sanctum vous emploie Ă leur apprendre la magie, enseignez-leur le nom de tout du mieux que vous pouvez, vous ne leur apprendrez jamais que la magie, libre Ă eux d'utiliser leur bon sens. La croyance, c'est pas une affaire de sorciers. Chacun porte la sienne Ă sa maniĂšre. »Fabri commençait Ă boire son thĂ©, qui avait finalement gagnĂ© une chaleur potable. Tu serais un rejeton de philosophe que ça me surprendrait pas. » Pas vraiment. Si vous acceptez mon offre on aura tout le temps de reprendre un thĂ© ensemble. Vous me direz tout sur la magie. Je vous dirait tout sur la poĂ©sie, la philosophie... des choses de haute volĂ©e. Comme le nom des choses, des roches et des ar- »La sorciĂšre plaqua sa main sur la table et se pencha vers lui. Tu parles de choses que tu ne connaĂźt absolument pas ! T'entendre dire des Ă©normitĂ©s pareilles â on ne rigole pas avec la magie, ce sont des choses qui te dĂ©passent ! »En rĂ©ponse, Fabri la regarda pendant quelques secondes. Il finit par sourire ; posant un coude sur la table, il s'approcha Ă©galement d'elle. Vous m'en direz tant. » Dans un rictus, Esmerine Mons plissa les yeux. Je t'en dirait tant. Tu prĂ©viens tes ouailles des Templiers que mon toit a besoin d'ĂȘtre rĂ©parĂ©. Et j'irai voir quel travail ton Sanctum peut bien me proposer. Est-ce que ça te va ? » C'est plus que ce que j'avais espĂ©rĂ©, je dois dire. » Bien. Maintenant, on va finir de ranger un peu avant que mon apprenti ne revienne. On a encore quelques armoires Ă bouger, toi et moi. »